A l’aube de l’empire

L’apprentissage des bonnes manières à l’école de Madame Campan

Qui peut penser à apprendre les bonnes manières au sortir de la Révolution ? et qui peut songer également à enseigner ces bonnes manières dans une France dévastée par des années de révolte, des années de charrettes menant à l’échafaud des centaines de personnes, dans un bain de sang tel comme on n’en n’a jamais connu !

En effet, les années de terreur terminées, la société française doit se réorganiser sur de nouvelles bases, étayées par de nouvelles lois et surtout, surtout, avec une société nouvelle.

Et quelle est cette nouvelle société qui émerge des ruines de la Révolution ?

Plus d’aristocrates, enfuis ou guillotinés ! Un peuple qui a pris la mesure de son pouvoir en guillotinant son roi ! Et surtout une petite bourgeoisie qui a franchi les marches du pouvoir jusqu’à se hisser aux plus hauts postes.

Ajoutons à cela, les guerres de la Révolution, du consulat et plus tard de l’empire qui ont propulsé aux plus hauts sommets, des généraux, des maréchaux, issus souvent de milieux très modestes, et que l’empereur va installer sur les trônes de tous les pays d’Europe.  Ces derniers vont représenter la grande majorité de ces gens modestes mais qui vont devoir, de par leurs nouvelles fonctions, apprendre à recevoir, à se tenir dans le monde, à faire instruire leurs enfants, en un mot apprendre les bonnes manières.

Qui est Madame Campan ?

Jeanne Louise Henriette Genet nait à Paris en 1752 ; elle est la fille d’un premier commis aux affaires étrangères (ce qu’on peut appeler aujourd’hui un secrétaire général du ministère des affaires étrangères). Elle reçoit une solide instruction, parle couramment l’anglais et l’italien, apprend le chant, la diction.

A l’âge de 15 ans elle devient la lectrice des filles de Louis XV et quand la toute jeune Marie Antoinette arrive à la cour de France, elle devient seconde femme de chambre de la Dauphine …seconde puis première quelques années plus tard.

Cependant, la première femme de chambre de la reine n’était pas ce que l’on appelle aujourd’hui une domestique. Elle accompagnait la Dauphine à la harpe, au clavecin, lui donnait des leçons d’anglais, lui faisait la lecture. La reine s’attachera à cette jeune fille au point de lui confier ses bijoux, en 1789, lorsque la Révolution éclatera.

On la marie en 1771 à François Berthollet dit Campan, maître de garde-robe de la comtesse d’Artois. Ce mariage fut un échec total mais Mme Campan soignera son mari malade jusqu’à sa mort.

Elle va suivre le couple royal aux tuileries en 1789 mais en août 1792, quand ce dernier fut incarcéré au temple, la commune de Paris l’écarta ainsi que sa sœur Mme Henriette Auguié, également au service de Marie Antoinette. Sa maison est pillée et brûlée et elle passera à deux doigts de la guillotine. Elle se réfugie à St Remy les Chevreuse chez une autre de ses sœurs, mais la pauvre Henriette Auguié, poursuivie pour avoir glissé 25 Louis dans la poche de Marie Antoinette au moment de son incarcération au temple, va se jeter d’une fenêtre de peur d’être guillotinée. 

Voilà donc notre Mme Campan sans ressources, sans maison, en charge d’un mari malade et de 4 enfants, le sien Henri, et les 3 filles orphelines de sa sœur Auguié.

Et c’est à ce moment-là que Mme Campan eut l’idée d’employer ses compétences pour gagner sa vie : fonder une maison d’éducation. Elle avait un profond amour des enfants, elle était dévouée, dotée de beaucoup de bon sens et d’une belle culture. Sa décision est prise.

L’institution de Saint germain

La conjoncture était bonne ; au lendemain du 9 Thermidor, le régime de la terreur est terminé. En effet, grandes familles rescapées de la Révolution et nouvelles élites aspirent pour leurs enfants à une formation de qualité que les communautés religieuses, démantelées, ne peuvent plus offrir. Du reste, ce n’était pas cet enseignement qu’elles souhaitaient, mais une éducation conjuguant les bonnes manières de l’Ancien régime et les nouvelles valeurs.

Et c’est ce que Madame Campan va leur donner.

Elle fonde donc « l’Institution Nationale de Saint Germain » dans une maison qu’on lui prête Rue de Poissy. Le nombre d’élèves augmente rapidement mais surtout un évènement inattendu va assurer un succès considérable à l’institution. (Pour le fun, je vous signale que pendant la Révolution, Saint Germain avait été débaptisé et se nommait Montagne-Bon Air)

Quel fut donc cet évènement inattendu ?

 Joséphine de Beauharnais, veuve de son mari Alexandre, va réapparaitre dans le grand monde. Dès 1795, devenue la maîtresse de Barras, elle décide de mettre ses enfants en pension, dont Hortense chez Madame Campan. Vous le savez, sa liaison avec Barras fut de courte durée et elle jeta très vite son dévolu (et ses voiles) sur le général Bonaparte, l’homme qui monte ! Et bien entendu, le 9 mars 1796, son mariage avec Bonaparte va avoir des répercussions incroyables sur l’institution de Saint Germain. Puisque Joséphine Bonaparte met ses enfants en pension à St Germain, aucune hésitation ! A dater de ce jour, les élèves affluent et Madame Campan va alors installer son institut dans les bâtiments de l’ancien hôtel de Rohan, 42 Rue de l’Unité (Rue des Ursulines aujourd’hui).

Si vous avez l’occasion de lire les mémoires d’Hortense de Beauharnais, je vous conseille vivement de le faire, vous comprendrez vraiment ce qu’a été Mme Campan pour ses élèves et la belle éducation quasi aristocratique qu’elle a pu leur donner. Hortense, jusqu’à son dernier jour, nourrira un amour immense pour cette femme qu’elle considèrera toujours comme sa deuxième maman. Et elle ne cessera de répéter que Saint germain fut le seul temps heureux de sa vie.

Hortense de Beauharnais incarnera toujours la réussite de l’éducation de Mme Campan et va largement y contribuer.

Le jour où Hortense entre à l’institut, Madame Campan reçoit bien sûr Joséphine (qui est la femme qui monte !) avec toute l’amabilité et la déférence dues à sa situation. La solidarité entre femmes issues d’un même milieu et malmenées par la Révolution joue au point que Mme Campan concèdera à Joséphine un rabais de 50% sur le prix de la pension ! Elle va installer Hortense dans la chambre de ses nièces, leur recommandant d’accueillir comme il se doit cette nouvelle élève. La leçon porta ses fruits car une amitié inaltérable va se nouer entre ces trois petites filles, amitié qui ne se démentira jamais. 

 En 1798, Mame Campan écrit « ma maison est comble, je ne sais plus à qui entendre pour les demandes »

A l’institut de St Germain, on apprend certes, à lire, à écrire et à compter…Mais pas seulement ! Je ne résiste pas au plaisir de vous noter les observations faites un jour à Hortense par son éducatrice :

« Soignez un peu plus vos lettres, sans exception, même celles écrites à vos amies. Songez que l’on envoie loin de soi, en écrivant, une mesure de ses talents, de son esprit et de son éducation. Le billet d’une femme, même écrit à sa marchande de modes peut être vu par des personnes instruites qui jugent par là si une femme est ou n’est pas bien élevée. Vous faites, par étourderie des fautes d’orthographe, que l’on prendra pour des fautes de principe ! »

Pas de remontrances, le goût de convaincre par des explications, le souci de former des femmes accomplies, à l’aise dans la bonne société. Une place très importante sera accordée à l’enseignement des arts d’agrément ; les professeurs sont choisis parmi les plus célèbres de l’époque ; Imaginez que ces jeunes filles eurent par exemple Isabey et Thienon comme professeurs de dessin ; elles apprennent la musique et le chant avec Carbonnel ; on leur enseigne la harpe,la danse ;la manière de se conduire en toutes circonstances et dans les plus petits détails, de la tenue de la maison jusqu’à une partie de campagne.

Et toujours le souci de concilier art de plaire, principes chrétiens, enseignement du passé et initiation aux bonnes manières avec des thés improvisés sans oublier l’exercice de la charité.

L’école de Mme Campan va tout simplement, en raison du rang social des fillettes qui lui furent confiées, devenir un véritable carnet mondain !

Bonaparte, impressionné par la bonne éducation d’Hortense qu’il rencontre chez Joséphine, va lui confier ses sœurs : en effet l’éducation des filles de Charles et Laetitia Bonaparte avait été, c’est le moins que l’on puisse dire, très négligée.

D’abord, Caroline, pour laquelle il prie Mme Campan de la rendre aussi savante qu’Hortense car dit-il « elle ne sait rien, même pas lire » Caroline, qui, faut-il le rappeler, épousera Murat, et deviendra reine de Naples. 

Pauline ensuite, qui épousera en premier le général Leclerc et c’est son mari lui-même qui la mettra en pension à St Germain pour parfaire dit-il, une éducation par trop négligée ! Pauline, ne l’oublions pas, Duchesse de Guastalla et future princesse Borghese ! 

Elisa, épouse Baciocchi, certainement la plus intelligente des sœurs Bonaparte, princesse de Lucca et de Piombino et future grande Duchesse de Toscane.

Charlotte, la fille de Lucien Bonaparte, deviendra la princesse Gabrielli.

Puis la famille de Beauharnais passera également par l’institut Saint Germain :

Stéphanie et Emilie de Beauharnais, les nièces de feu Alexandre de Beauharnais : Stéphanie, grande Duchesse de Bade et Emilie Comtesse de Lavalette. 

Stéphanie Tascher de la Pagerie, nièce de Joséphine, future duchesse d’Arenberg et de Sigmaringen.

Eglé Auguié, vous vous souvenez, la nièce de Mme Campan, sera, elle, la Maréchale Ney, Princesse de la Moskova, dame du Palais de Joséphine et plus tard de Marie Louise.

La renommée de Mme Campan s’étend au-delà des mers ! Elle comptera même parmi ses élèves, Elisa Monroé, la fille du futur président des Etats Unis.

En effet James Monroe, alors ambassadeur des EU en France en 1794, va lui aussi confier sa fille aux bons soins de Madame Campan.

Le mot de carnet mondain n’était pas exagéré.

Se casèrent ainsi de nombreuses jeunes filles qui fournirent aux nouveaux maréchaux, princes, ducs, des femmes ayant reçu d’excellents principes religieux et moraux, une solide instruction générale et surtout des manières raffinées rappelant celles de l’Ancien régime.

On peut dire que cette école constitua une sorte de pont entre l’institut de Saint Cyr crée par Mme de Maintenon et les maisons d’éducation de la Légion d’Honneur qui seront créés plus tard par l’empereur. 

La seule, hélas, qui fit un mariage malheureux, fut la jolie Hortense, qui ne put épouser le général Duroc, dont elle était follement éprise, mais qui fut mariée par son beau-père à l’antipathique Louis Bonaparte. Devenue Reine de Hollande, elle quitta rapidement et son mari et ce pays, qu’elle détestait. A ses yeux cependant, sa réussite fut son fils adoré, le futur Napoléon III.

Il convient donc de souligner l’importance de cette institution dont les anciennes élèves peuplèrent les nombreuses cours satellites de l’empire français. Et ce qu’il est opportun également de souligner fut l’extraordinaire solidarité dont firent preuve tout au long de leurs vies les anciennes élèves de Madame Campan. Des amitiés indéfectibles se nouèrent à St germain et Hortense reçut de nombreuses fois ses anciennes amies dans sa demeure d’Arenenberg où elle termina ses jours.

 

La fin de vie d’ Henriette Campan

Le rêve de Mme Campan était de fonder une Université de femmes.

Aussi, lorsqu’en 1807, Napoléon fonde la première maison d’éducation de la Légion d’honneur à Ecouen, il pense immédiatement à Henriette Campan.

Celle-ci, ravie et flattée, n’hésite pas longtemps et accepte aussitôt.

Le 5 septembre elle est nommée dame directrice de la Maison Impériale d’Ecouen.

Elle se rêve surintendante d’un réseau de maisons d’éducation s’étendant sur tout le Grand Empire.

« Nous sommes une espèce d’Université de femmes où la jeunesse de notre sexe doit être élevée et où elle doit former des femmes capables d’autonomie, épouses, mères, mais aussi administratrices de leurs maisons et de leurs biens »

Hélas, elle va vite déchanter. Plusieurs raisons à cette immense déception !

D’abord, elle n’était plus maîtresse des programmes, c’est l’empereur qui décidait.

Ensuite, les élèves venaient pour la plupart d’un tout autre milieu.

Et surtout, le programme n’était pas celui de Saint Germain et au lieu de danse, musique et dessin, c’était cuisine et balai !!

Elle exercera ses fonctions du mieux possible, mais sans enthousiasme, jusqu’ à la chute de l’empereur.

Le 24 mai 1814 Louis XVIII signe une ordonnance restituant le château d’Ecouen au Prince de Condé.

Elle quitte le château le 10 août. Elle est ruinée.

En juillet 1815, grâce au Marechal Mac Donald, elle obtient une pension de surintendante honoraire.

Petite anecdote : fin 1815, elle désire revoir Marie Thérèse, Mme Royale, qu’elle avait connue enfant. Cette dernière lui demande « qu’avez-vous fait sous Bonaparte ? »

Mme Campan, gênée, répond « J’ai fondé le pensionnat d’Ecouen »

Mme Royale la congédie aussitôt en répondant d’un air glacial « Vous auriez mieux fait de rester chez vous »

Trop proche de l’empereur, elle tombe en disgrâce, et se retire à Mantes en 1816.

Elle va faire de nombreux séjours chez des amis, en particulier à Arenenberg chez Hortense, ou chez la maréchale Ney, sa nièce.

Atteinte d’un cancer, elle sera opérée le 5 février 1822 par le Dr Voisin, chirurgien à Versailles mais ne se relèvera pas. Elle meurt le 16 mars et sera enterrée au cimetière de Mantes la Jolie.

On peut encore voir sa tombe qui porte l’épitaphe suivante :

« Elle fut utile à la jeunesse et consola les malheureux »

Elle est restée à la postérité surtout grâce à ses « Mémoires sur la vie privée de Marie Antoinette », qui sont un témoignage historique et précis sur la vie de la cour à l’époque de Louis XVI. Proche de la souveraine, elle nous fait pénétrer dans l’intimité de la Reine et apporte un nouvel éclairage sur la personnalité de Marie Antoinette.

Mais elle a écrit également de nombreux autres ouvrages, en particulier sur l’éducation des filles bien sûr.

Femme oubliée par l’histoire, elle mérite qu’on lui rende justice, car elle a contribué, à sa façon, à l’éclat dont a brillé notre empire. 

Nicole Bonsignori
Membre de la Société Napoléonienne de Marseille