Aix-en-Provence, Une ville marquée par l'Empire
Article publié dans la revue Napoléon Ier, Revue du souvenir napoléonien, n° 104.
Commençons par le plus illustre des membres de la famille Bonaparte, Napoléon. Celui qui allait devenir Empereur des Français est passé plusieurs fois par Aix.
Passages multiples
ll y a tout d’abord cette plaque commémorative devant l’hôtel « des 4 Nations » situé au n° 3 du cours Mirabeau, où le général Bonaparte passe la nuit du 9 au 10 octobre 1799. Une de ces nuits qui font l’Histoire, puisque c’est d’ici qu’il annonce dans un message son retour surprise d’Égypte au Directoire médusé, un mois jour pour jour avant le 18 Brumaire : « Citoyens Directeurs, J'ai pressenti que je ne devais pas rester plus longtemps éloigné de France... Je n'ai pas pensé devoir calculer les dangers, je devais me trouver là où ma présence pouvait être le plus utile... Je serai à Paris presqu'en même temps que ce courrier. » Ajoutons que le général Bonaparte est accompagné d'une suite de fidèles de renom : trois généraux et futurs maréchaux (Murat, Berthier, Lannes), son beau-fils Eugène de Beauharnais, ainsi que trois savants de cette fascinante expédition d'Égypte, Vivant Denon, Monge et Berthollet. Napoléon n'en est pas à son premier passage à Aix puisque, dès l'été 1793, alors jeune capitaine d'artillerie, il a été chargé de réquisitionner les cloches de l'église Saint-Jean-de-Malte à Aix en application d'un décret de la Convention visant à fondre toutes les cloches du territoire en canons. L'affaire aurait pu en rester là, mais elle a un dénouement imprévu: en 2012, la préfecture maritime de Toulon a décidé de céder à ladite paroisse des morceaux de canons d'époque découverts dans l'arsenal, en réparation de l'injustice subie en 1793 ; le bronze ainsi récupéré permet de fondre les nouvelles cloches, qui ornent à présent le clocher. Un panneau rappelant ce dénouement se trouve à l'intérieur de l'église.
Un autre passage attesté de Napoléon, mais d'une toute autre nature cette fois, se déroule le 26 avril 1814, à l'auberge de la Calade (8 km au nord d'Aix), puisqu'il s'agit ici d'une épreuve pour l'Empereur fraichement déchu : Napoléon a failli être lynché plus tôt par une foule en colère à Orgon (près de Cavaillon), passage obligé sur la route de l'exil vers l'île d'Elbe ; sans escorte, il ne doit la vie sauve que par l'intervention des commissaires coalisés qui l'accompagnent. L'ancien souverain choisit alors de poursuivre son voyage sous un pardessus d'uniforme autrichien. Lorsqu'il descend à l'auberge de la Calade près d'Aix, encore tout étourdi des événements de la veille, il interroge ainsi l'aubergiste : « - Vous le haïssez donc tant cet empereur? Que vous a-t-il fait ? - Ah le monstre ! il est la cause de la mort de mon fils, de mon neveu, et de tant de jeunes gens ! » Vae victis... Cet accueil trouble fort Napoléon, qui ne touche même pas son repas, craignant d'être empoisonné. Quand l'Empereur rejoint enfin sa sœur Pauline, avant d'embarquer à Saint-Raphaël, celle-ci refuse de l'embrasser tant qu'il ne se dévêtit point de ce manteau autrichien ! C'est à la suite de ces événements de Provence que l'Empereur choisira en 1815 de remonter à Paris par la route des Alpes jugée plus sûre, la fameuse route Napoléon depuis 1931.
Aix compte un privilège que beaucoup d'autres villes n'ont pas : une avenue « Napoléon Bonaparte » qui débouche sur l'avenue de la République. D'ailleurs, à l'angle de la rue de la République et du cours Sextius, il existe une plaque qui nous ramène à l'Empire : elle indique que nous nous trouvons sur la route impériale n°7 (ancêtre de la fameuse « Nationale 7 »).
Les autres membres de la famille
Restons chez les Bonaparte, puisque Pauline, princesse Borghèse, a une histoire intime avec la ville. En effet, devenue princesse après avoir épousé un noble romain, elle s'entiche en Italie de son chambellan, un officier aixois dénommé Auguste de Forbin. Sur la route de Digne-les-Bains où elle
compte prendre les eaux en 1807, elle fait étape à Aix où son amant l'attend ; une plaque devant l'hôtel de Forbin rappelle discrètement cet épisode. Pauline profite de son passage pour y rétablir la Fête-Dieu à la demande des notables aixois, fête supprimée sous la Révolution. Mais héberger des amours illégitimes en plein centre d'Aix n'est pas chose aisée, et les amants prendront vite la route du château de la Mignarde, dans la campagne aixoise, appartenant alors à l'un de leurs amis, le commissaire Jean-Baptiste Rey.
C'est dans ce château que la princesse un brin capricieuse exige qu'on batte les étangs pour faire taire le vacarme nocturne des grenouilles... Ce séjour sera aussi a l'origine d'un mini-scandale sanitaire : pour conserver la blancheur de sa peau, la princesse a l'habitude de prendre des bains au
lait d'ânesse ; comme cela s'avère très onéreux, ses proches ont l'idée de revendre le lait usagé sur les marchés d'Aix ; le scandale est découvert lorsque l'on s'aperçoit que le lait est parfumé à la lavande ! La célèbre baignoire se trouve toujours au château.
Lucien Bonaparte fait au moins deux passages attestés à Aix : le premier quand il fait le séminaire d'Aix, de 1786 à 1789 mais, en manque de vocation, il l'abandonne pour rejoindre sa Corse natale au tout début de la Révolution, où il deviendra un temps le secrétaire de Paoli. Le second séjour de Lucien est plus court, mais aussi plus douloureux : ayant obtenu un poste logistique aux armées grâce à son frère, il est incarcéré à la prison d'Aix comme jacobin lors de la réaction thermidorienne en 1795, avant d'être libéré sur intervention de Napoléon. Joseph Fesch, l'oncle, fait, comme Lucien - mais jusqu'à l'ordination -, le grand séminaire d'Aix (aujourd'hui collège Campra), de 1781 à 1786.
En 1784, Charles, le père de la fratrie, a aussi foulé les pavés aixois. En route pour Paris, accompagné de son fils Joseph et de son beau-frère Fesch, épuisé par la traversée, il s'arrête à Aix pour y rencontrer le docteur Tournatori, en son hôtel particulier de la rue Bellegarde (aujourd'hui rue Mignet) ; ce dernier, avisant avec justesse le mal qui le ronge, l'envoie consulter ses confrères à Montpellier. Mais il est déjà trop tard : Charles meurt à Montpellier quelques mois plus tard, à trente-huit ans.
Enfin, l'hôtel d'Albertas renferme un secret : c'est ici que Napoléone, la fille des Montholon, née à Sainte-Hélène le jour anniversaire de Waterloo et filleule de l'Empereur déchu, a vécu les vingt dernières années de sa vie. « La seule personne entrée à Sainte-Hélène sans l'autorisation de Hudson Lowe », s'amusera la comtesse.
Hôtes de marque
Parmi les autres grands personnages de l'époque impériale ayant séjourné à Aix, il convient en premier lieu de citer le pape Pie VII, alors sur le chemin de l'exil après avoir été capturé en 1809. Ironie de l'histoire, c'est dans ce même « hôtel des 4 nations » où Napoléon avait fait étape dix ans plus tôt en pleine gloire, que dort le souverain pontife déposé. Pape depuis 1800, Pie VII n'a pas accepté d'appliquer le blocus continental, imposé par l'Empereur en ces termes : « Sa Sainteté est souveraine de Rome, mais j'en suis l'Empereur, tous mes ennemis doivent être les siens. » Napoléon a donc annexé Rome à l'Empire français en 1809, provoquant son excommunication par Pie VII ; en représailles, il a chargé le général Miollis - un Aixois - de neutraliser le pape, ce qui est fait lors d'un assaut du palais du Quirinal mené par le général Radet dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809. Après Aix, le pape, dont on ne sait visiblement que faire, est conduit a Grenoble, puis renvoyé à Savone (Italie), enfin à Fontainebleau en 1812, avant d'être relâché début 1814.
L'hôtel de Forbin, célèbre pour avoir abrité les amours de Forbin et de Pauline en 1807, est la résidence du non moins célèbre Fouché en 1802 et 1810, c'est-à-dire à chacune de ses disgrâces : Napoléon sait ce qu'il doit à son ministre de la Police, et en compensation l'a nommé sénateur d'Aix. Sa sénatorerie lui assure un revenu conséquent, lui permettant de louer l'hôtel Forbin appartenant à la veuve de celui-là même qu'il a fait exécuter à Lyon en 1793 lorsque, surnommé « le mitrailleur de Lyon », il y était représentant en mission. Son second exil doré donne à Fouché, devenu veuf en 1812, l'occasion de se remarier en août 1815 avec une jeune Aixoise, la comtesse Ernestine de
Castellane-Majastres (1788-1850).
Une plaque commémorative, dite des « Cohortes de la Légion d'Honneur », fixée sur les murs de l'ancien archevêché, rappelle que le général Bernadotte se trouvait à la tête de la 8e cohorte qui avait son siège à Aix. En effet, à l'origine, la Légion d'honneur créée en 1802 par Bonaparte comprend des subdivisions territoriales, les cohortes ; celles-ci sont supprimées dès 1809. Cela donne l'occasion de rappeler que Bernadotte a auparavant épousé une Marseillaise un temps fiancée à Napoléon, la fameuse Désirée Clary.
L'hôtel d'Estienne d'Orves (actuel Monoprix) sur le cours Mirabeau est un lieu de refuge pour un autre grand personnage de ces temps impériaux, l'ex-roi Charles IV d'Espagne. En effet, à la suite de l'entretien de Bayonne en 1808, celui-ci abdique au profit de Napoléon, qui s'empresse de donner
ladite couronne à son frère Joseph - « ma plus grande faute » admettra l'Empereur à Sainte-Hélène. Après avoir séjourné un temps au château de Compiègne à l'été 1808, le roi déchu, que le climat contrarie, demande à Napoléon de lui attribuer une résidence au soleil. Celui-ci désigne Marseille et charge le préfet Thibaudeau de trouver un lieu digne d'accueillir un hôte de ce rang et sa suite (cent cinquante personnes !). En attendant que la demeure marseillaise pressentie soit aménagée le roi Charles IV et son ministre Godoy font un court séjour à Aix. Du château de Marseille, il ne reste aujourd'hui plus rien, si ce n'est l'agréable jardin, justement nommé depuis ce temps « parc du roi d'Espagne ».
Les Aixois illustres
On a coutume de présenter l'Empire sous l'angle de l'œuvre militaire et de l'œuvre civile. Jean-Étienne Portalis (1746-1807), avocat au barreau d'Aix et corédacteur du code civil, fait assurément partie des pères fondateurs de l'œuvre civile, et c'est pour cette raison qu'il repose... au
Panthéon ! Grand avocat, monarchiste constitutionnel convaincu, il se détache vite des excès révolutionnaires, allant jusqu'à être emprisonné sous Robespierre. Élu par la suite député au conseil des Anciens, son opposition au Directoire l'oblige à s'exiler en Allemagne, pour ne rentrer en France
qu'à l'issue du 18 Brumaire. Le Premier Consul le nomme président de la commission chargée de rédiger le Code civil. Napoléon dira de lui : « Portalis serait l'orateur le plus fleuri et le plus éloquent s'il savait s'arrêter. » Modèle de méritocratie, il sera nommé conseiller d'État négociera le Concordat, et fera accoucher le Code civil des Français après quatre années de travaux en commissions (Bonaparte préside lui-même la moitié des séances). Nommé ministre des Cultes par Napoléon, celui-ci est si satisfait de ses services qu'à sa mort précoce en 1807 il nomme son fils Joseph-Marie Portalis (1778-1858), aixois lui aussi, pour lui succéder à ce poste. La maxime prêtée à Napoléon - « Ce qui restera de moi, ce n'est pas d'avoir gagné quarante batailles, c'est mon code civil » - trouve ici toute sa portée. Outre une plaque sur sa maison rue de l'Opéra, la ville d'Aix rend hommage à Jean-Étienne Portalis par une rue à son nom, et surtout une statue monumentale devant le Palais de justice.
Joseph-Jérôme Siméon (1749-1842) a beaucoup de traits communs avec Portalis : avocat aixois, exilé sous la Révolution, député sous le Directoire, membre de la commission du Code civil, conseiller d'Etat, ministre, il est en outre le beau-frère de Portalis, et sa statue jouxte la sienne devant le Palais de justice d'Aix. Insistons plutôt sur leurs différences : si Siméon est ministre (de
l'Intérieur), c'est au service du roi de Westphalie Jérôme Bonaparte, de 1807 à 1813. Il s'applique à diffuser le Code civil dans cet État de la Confédération du Rhin. Autre trait distinctif, sa longévité, qui lui permet de servir les deux monarchies suivantes. Il finira sa carrière comme premier président de la Cour des Comptes, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans !
Sur le plan de l'œuvre militaire, un Aixois est aussi entré dans l'histoire impériale, comme nous l'avons rappelé: il s'agit du général Sextius Miollis (1759-1828). Aristocrate né à Aix, sa carrière militaire débute avec la guerre d'Indépendance des États-Unis d'Amérique ; rallié aux idées
nouvelles, il obtient le grade de général dès 1794. C'est au siège de Mantoue, lors de la Première campagne d'Italie, que le général Bonaparte le remarque : gouverneur de Mantoue sitôt la reddition autrichienne actée, il sera après une courte disgrâce - pour s'être opposé au Consulat à vie - nommé commandant des armées d'Italie sous l'autorité du vice-roi Eugène en 1805. Mais c'est à Rome que l'attend son véritable destin : lorsque Napoléon ordonne l'envahissement des États du Pape en 1808, il nomme Miollis gouverneur de Rome et des États romains ; celui-ci s'acquitte parfaitement de sa mission, tout en gardant une grande déférence envers le pape qui reste libre en son palais du Quirinal. Cependant, celui-ci ayant excommunié Napoléon, Miollis interprète strictement un ordre de Napoléon en faisant arrêter le pape et en l'envoyant en exil en 1809. Le lycée militaire d'Aix a gardé un « quartier Miollis » et une place de la ville porte son nom. Surtout, il est inscrit sur l'Arc de Triomphe de Paris ! Le général Miollis finira sa vie à Aix en son château de Sextia-Montjustin en 1828. Sa tombe monumentale est visible au cimetière d'Aix.
Il est à noter que son propre frère, Bienvenu de Miollis (1753-1843), aixois lui aussi, au destin particulier : nommé évêque concordataire de Digne par Napoléon, il s'oppose pourtant à celui-ci au sujet du pape. Doté d'une grande piété et d'un grand humanisme, Victor Hugo s'en inspirera pour camper le personnage de l'évêque Myriel des Misérables.
Nous avons évoqué les frasques de Forbin (1777-1841) avec la belle Pauline Bonaparte ; mais sa vie ne se résume pas à cet épisode. Né à proximité d'Aix, ce peintre doué est à Paris l'élève de David, maître du néoclassicisme et futur Premier peintre de l'Empereur. Il devient en outre le successeur de Vivant Denon comme directeur du musée du Louvre en 1816. Une plaque devant son hôtel particulier du cours Mirabeau résume l'histoire de ce lieu.
Un autre Aixois célèbre, François Marius Granet (1775-1849), a aussi le privilège de rencontrer au moins deux membres de la famille Bonaparte. En effet, après la fermeture de l'école de dessin d'Aix qu'il fréquente, le jeune peintre désœuvré s'engage en 1793 dans une milice patriotique, la Société populaire d'Aix, pour aller assister l'armée républicaine qui assiège Toulon. Dans ses Mémoires, Granet raconte qu'au soir de son arrivée il est présenté à un jeune officier: « C'est là que j'ai entendu pour la première fois le nom de Bonaparte. C'était Napoléon, alors officier d'artillerie. » Granet réalisera, à sa demande, plusieurs croquis du siège de Toulon. Le second personnage de la famille Bonaparte que Granet rencontre est Caroline. En effet à l'occasion d'un voyage d'études à Rome avec son ami Ingres, son talent est remarqué et la reine le fait venir à Naples. Il y est nommé en 1812 « peintre officiel des paysages historiques ». Aix a rendu hommage à cet artiste de talent qui lui
a légué sa collection, en rebaptisant le musée d'Aix « musée Granet » en 1949.
Enfin, le destin d'Eugène de Mazenod (1782-1861) est singulier : enfant aixois exilé à la Révolution, son retour en France est rendu possible après Brumaire ; entré au séminaire de Paris en 1808, il devient résistant papiste en transmettant secrètement des lettres pour les cardinaux restés fidèles au pape. Après son ordination en 1811, il revient à Aix se consacrer aux indigents, dont les prisonniers autrichiens détenus dans les casernes où sévit le typhus. Gravement infecté par cette maladie en 1814, il manque d'en mourir. Miraculeusement rétabli, il fonde l'Ordre missionnaire des Oblats à Aix à la Restauration. Enfin, devenu évêque de Marseille en 1837, c'est lui qui ordonne la construction de Notre-Dame de la Garde, consacrée sous le Second Empire. Toutes ces actions généreuses ont conduit le pape à le canoniser en 1995. Une plaque est fixée sur sa maison natale du cours Mirabeau.
La cité a ainsi été le témoin des trois étapes de la vie de Napoléon : l'ascension (autour de Toulon, retour d'Égypte..), l'apogée (Portalis, Miollis, Pauline...) et la chute (route vers l'exil, et même au-delà avec Napoléone de Monthollon !) Fort de son patrimoine impériale (1), Aix-en-Provence mérite d'être pleinement considérée comme une ville napoléonienne.
PS :
Appellations et évolution
À l'époque de Napoléon, la ville ne s'appelle pas encore Aix-en-Provence (il faudra attendre 1931 ) ; de même, l'artère principale d'Aix, le cours Mirabeau, s'appelle seulement le cours (il faudra attendre 1880). Aix ne compte alors que 20000 habitants, tandis que Marseille en dénombre 100 000. À l'initiative du premier préfet Charles Delacroix (le père du futur peintre), Aix perd sa place de chef-lieu du département au profit de Marseille en 1800.
(1) Une société napoléonienne locale, la SNA, propose un « parcours napoléonien aixois » sous forme d'une visite commentée. Contact: societenapoleonienne.aix@gmail.com
Commençons par le plus illustre des membres de la famille Bonaparte, Napoléon. Celui qui allait devenir Empereur des Français est passé plusieurs fois par Aix.
Passages multiples
ll y a tout d’abord cette plaque commémorative devant l’hôtel « des 4 Nations » situé au n° 3 du cours Mirabeau, où le général Bonaparte passe la nuit du 9 au 10 octobre 1799. Une de ces nuits qui font l’Histoire, puisque c’est d’ici qu’il annonce dans un message son retour surprise d’Égypte au Directoire médusé, un mois jour pour jour avant le 18 Brumaire : « Citoyens Directeurs, J'ai pressenti que je ne devais pas rester plus longtemps éloigné de France... Je n'ai pas pensé devoir calculer les dangers, je devais me trouver là où ma présence pouvait être le plus utile... Je serai à Paris presqu'en même temps que ce courrier. » Ajoutons que le général Bonaparte est accompagné d'une suite de fidèles de renom : trois généraux et futurs maréchaux (Murat, Berthier, Lannes), son beau-fils Eugène de Beauharnais, ainsi que trois savants de cette fascinante expédition d'Égypte, Vivant Denon, Monge et Berthollet. Napoléon n'en est pas à son premier passage à Aix puisque, dès l'été 1793, alors jeune capitaine d'artillerie, il a été chargé de réquisitionner les cloches de l'église Saint-Jean-de-Malte à Aix en application d'un décret de la Convention visant à fondre toutes les cloches du territoire en canons. L'affaire aurait pu en rester là, mais elle a un dénouement imprévu: en 2012, la préfecture maritime de Toulon a décidé de céder à ladite paroisse des morceaux de canons d'époque découverts dans l'arsenal, en réparation de l'injustice subie en 1793 ; le bronze ainsi récupéré permet de fondre les nouvelles cloches, qui ornent à présent le clocher. Un panneau rappelant ce dénouement se trouve à l'intérieur de l'église.
Un autre passage attesté de Napoléon, mais d'une toute autre nature cette fois, se déroule le 26 avril 1814, à l'auberge de la Calade (8 km au nord d'Aix), puisqu'il s'agit ici d'une épreuve pour l'Empereur fraichement déchu : Napoléon a failli être lynché plus tôt par une foule en colère à Orgon (près de Cavaillon), passage obligé sur la route de l'exil vers l'île d'Elbe ; sans escorte, il ne doit la vie sauve que par l'intervention des commissaires coalisés qui l'accompagnent. L'ancien souverain choisit alors de poursuivre son voyage sous un pardessus d'uniforme autrichien. Lorsqu'il descend à l'auberge de la Calade près d'Aix, encore tout étourdi des événements de la veille, il interroge ainsi l'aubergiste : « - Vous le haïssez donc tant cet empereur? Que vous a-t-il fait ? - Ah le monstre ! il est la cause de la mort de mon fils, de mon neveu, et de tant de jeunes gens ! » Vae victis... Cet accueil trouble fort Napoléon, qui ne touche même pas son repas, craignant d'être empoisonné. Quand l'Empereur rejoint enfin sa sœur Pauline, avant d'embarquer à Saint-Raphaël, celle-ci refuse de l'embrasser tant qu'il ne se dévêtit point de ce manteau autrichien ! C'est à la suite de ces événements de Provence que l'Empereur choisira en 1815 de remonter à Paris par la route des Alpes jugée plus sûre, la fameuse route Napoléon depuis 1931.
Aix compte un privilège que beaucoup d'autres villes n'ont pas : une avenue « Napoléon Bonaparte » qui débouche sur l'avenue de la République. D'ailleurs, à l'angle de la rue de la République et du cours Sextius, il existe une plaque qui nous ramène à l'Empire : elle indique que nous nous trouvons sur la route impériale n°7 (ancêtre de la fameuse « Nationale 7 »).
Les autres membres de la famille
Restons chez les Bonaparte, puisque Pauline, princesse Borghèse, a une histoire intime avec la ville. En effet, devenue princesse après avoir épousé un noble romain, elle s'entiche en Italie de son chambellan, un officier aixois dénommé Auguste de Forbin. Sur la route de Digne-les-Bains où elle
compte prendre les eaux en 1807, elle fait étape à Aix où son amant l'attend ; une plaque devant l'hôtel de Forbin rappelle discrètement cet épisode. Pauline profite de son passage pour y rétablir la Fête-Dieu à la demande des notables aixois, fête supprimée sous la Révolution. Mais héberger des amours illégitimes en plein centre d'Aix n'est pas chose aisée, et les amants prendront vite la route du château de la Mignarde, dans la campagne aixoise, appartenant alors à l'un de leurs amis, le commissaire Jean-Baptiste Rey.
C'est dans ce château que la princesse un brin capricieuse exige qu'on batte les étangs pour faire taire le vacarme nocturne des grenouilles... Ce séjour sera aussi a l'origine d'un mini-scandale sanitaire : pour conserver la blancheur de sa peau, la princesse a l'habitude de prendre des bains au
lait d'ânesse ; comme cela s'avère très onéreux, ses proches ont l'idée de revendre le lait usagé sur les marchés d'Aix ; le scandale est découvert lorsque l'on s'aperçoit que le lait est parfumé à la lavande ! La célèbre baignoire se trouve toujours au château.
Lucien Bonaparte fait au moins deux passages attestés à Aix : le premier quand il fait le séminaire d'Aix, de 1786 à 1789 mais, en manque de vocation, il l'abandonne pour rejoindre sa Corse natale au tout début de la Révolution, où il deviendra un temps le secrétaire de Paoli. Le second séjour de Lucien est plus court, mais aussi plus douloureux : ayant obtenu un poste logistique aux armées grâce à son frère, il est incarcéré à la prison d'Aix comme jacobin lors de la réaction thermidorienne en 1795, avant d'être libéré sur intervention de Napoléon. Joseph Fesch, l'oncle, fait, comme Lucien - mais jusqu'à l'ordination -, le grand séminaire d'Aix (aujourd'hui collège Campra), de 1781 à 1786.
En 1784, Charles, le père de la fratrie, a aussi foulé les pavés aixois. En route pour Paris, accompagné de son fils Joseph et de son beau-frère Fesch, épuisé par la traversée, il s'arrête à Aix pour y rencontrer le docteur Tournatori, en son hôtel particulier de la rue Bellegarde (aujourd'hui rue Mignet) ; ce dernier, avisant avec justesse le mal qui le ronge, l'envoie consulter ses confrères à Montpellier. Mais il est déjà trop tard : Charles meurt à Montpellier quelques mois plus tard, à trente-huit ans.
Enfin, l'hôtel d'Albertas renferme un secret : c'est ici que Napoléone, la fille des Montholon, née à Sainte-Hélène le jour anniversaire de Waterloo et filleule de l'Empereur déchu, a vécu les vingt dernières années de sa vie. « La seule personne entrée à Sainte-Hélène sans l'autorisation de Hudson Lowe », s'amusera la comtesse.
Hôtes de marque
Parmi les autres grands personnages de l'époque impériale ayant séjourné à Aix, il convient en premier lieu de citer le pape Pie VII, alors sur le chemin de l'exil après avoir été capturé en 1809. Ironie de l'histoire, c'est dans ce même « hôtel des 4 nations » où Napoléon avait fait étape dix ans plus tôt en pleine gloire, que dort le souverain pontife déposé. Pape depuis 1800, Pie VII n'a pas accepté d'appliquer le blocus continental, imposé par l'Empereur en ces termes : « Sa Sainteté est souveraine de Rome, mais j'en suis l'Empereur, tous mes ennemis doivent être les siens. » Napoléon a donc annexé Rome à l'Empire français en 1809, provoquant son excommunication par Pie VII ; en représailles, il a chargé le général Miollis - un Aixois - de neutraliser le pape, ce qui est fait lors d'un assaut du palais du Quirinal mené par le général Radet dans la nuit du 5 au 6 juillet 1809. Après Aix, le pape, dont on ne sait visiblement que faire, est conduit a Grenoble, puis renvoyé à Savone (Italie), enfin à Fontainebleau en 1812, avant d'être relâché début 1814.
L'hôtel de Forbin, célèbre pour avoir abrité les amours de Forbin et de Pauline en 1807, est la résidence du non moins célèbre Fouché en 1802 et 1810, c'est-à-dire à chacune de ses disgrâces : Napoléon sait ce qu'il doit à son ministre de la Police, et en compensation l'a nommé sénateur d'Aix. Sa sénatorerie lui assure un revenu conséquent, lui permettant de louer l'hôtel Forbin appartenant à la veuve de celui-là même qu'il a fait exécuter à Lyon en 1793 lorsque, surnommé « le mitrailleur de Lyon », il y était représentant en mission. Son second exil doré donne à Fouché, devenu veuf en 1812, l'occasion de se remarier en août 1815 avec une jeune Aixoise, la comtesse Ernestine de
Castellane-Majastres (1788-1850).
Une plaque commémorative, dite des « Cohortes de la Légion d'Honneur », fixée sur les murs de l'ancien archevêché, rappelle que le général Bernadotte se trouvait à la tête de la 8e cohorte qui avait son siège à Aix. En effet, à l'origine, la Légion d'honneur créée en 1802 par Bonaparte comprend des subdivisions territoriales, les cohortes ; celles-ci sont supprimées dès 1809. Cela donne l'occasion de rappeler que Bernadotte a auparavant épousé une Marseillaise un temps fiancée à Napoléon, la fameuse Désirée Clary.
L'hôtel d'Estienne d'Orves (actuel Monoprix) sur le cours Mirabeau est un lieu de refuge pour un autre grand personnage de ces temps impériaux, l'ex-roi Charles IV d'Espagne. En effet, à la suite de l'entretien de Bayonne en 1808, celui-ci abdique au profit de Napoléon, qui s'empresse de donner
ladite couronne à son frère Joseph - « ma plus grande faute » admettra l'Empereur à Sainte-Hélène. Après avoir séjourné un temps au château de Compiègne à l'été 1808, le roi déchu, que le climat contrarie, demande à Napoléon de lui attribuer une résidence au soleil. Celui-ci désigne Marseille et charge le préfet Thibaudeau de trouver un lieu digne d'accueillir un hôte de ce rang et sa suite (cent cinquante personnes !). En attendant que la demeure marseillaise pressentie soit aménagée le roi Charles IV et son ministre Godoy font un court séjour à Aix. Du château de Marseille, il ne reste aujourd'hui plus rien, si ce n'est l'agréable jardin, justement nommé depuis ce temps « parc du roi d'Espagne ».
Les Aixois illustres
On a coutume de présenter l'Empire sous l'angle de l'œuvre militaire et de l'œuvre civile. Jean-Étienne Portalis (1746-1807), avocat au barreau d'Aix et corédacteur du code civil, fait assurément partie des pères fondateurs de l'œuvre civile, et c'est pour cette raison qu'il repose... au
Panthéon ! Grand avocat, monarchiste constitutionnel convaincu, il se détache vite des excès révolutionnaires, allant jusqu'à être emprisonné sous Robespierre. Élu par la suite député au conseil des Anciens, son opposition au Directoire l'oblige à s'exiler en Allemagne, pour ne rentrer en France
qu'à l'issue du 18 Brumaire. Le Premier Consul le nomme président de la commission chargée de rédiger le Code civil. Napoléon dira de lui : « Portalis serait l'orateur le plus fleuri et le plus éloquent s'il savait s'arrêter. » Modèle de méritocratie, il sera nommé conseiller d'État négociera le Concordat, et fera accoucher le Code civil des Français après quatre années de travaux en commissions (Bonaparte préside lui-même la moitié des séances). Nommé ministre des Cultes par Napoléon, celui-ci est si satisfait de ses services qu'à sa mort précoce en 1807 il nomme son fils Joseph-Marie Portalis (1778-1858), aixois lui aussi, pour lui succéder à ce poste. La maxime prêtée à Napoléon - « Ce qui restera de moi, ce n'est pas d'avoir gagné quarante batailles, c'est mon code civil » - trouve ici toute sa portée. Outre une plaque sur sa maison rue de l'Opéra, la ville d'Aix rend hommage à Jean-Étienne Portalis par une rue à son nom, et surtout une statue monumentale devant le Palais de justice.
Joseph-Jérôme Siméon (1749-1842) a beaucoup de traits communs avec Portalis : avocat aixois, exilé sous la Révolution, député sous le Directoire, membre de la commission du Code civil, conseiller d'Etat, ministre, il est en outre le beau-frère de Portalis, et sa statue jouxte la sienne devant le Palais de justice d'Aix. Insistons plutôt sur leurs différences : si Siméon est ministre (de
l'Intérieur), c'est au service du roi de Westphalie Jérôme Bonaparte, de 1807 à 1813. Il s'applique à diffuser le Code civil dans cet État de la Confédération du Rhin. Autre trait distinctif, sa longévité, qui lui permet de servir les deux monarchies suivantes. Il finira sa carrière comme premier président de la Cour des Comptes, jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans !
Sur le plan de l'œuvre militaire, un Aixois est aussi entré dans l'histoire impériale, comme nous l'avons rappelé: il s'agit du général Sextius Miollis (1759-1828). Aristocrate né à Aix, sa carrière militaire débute avec la guerre d'Indépendance des États-Unis d'Amérique ; rallié aux idées
nouvelles, il obtient le grade de général dès 1794. C'est au siège de Mantoue, lors de la Première campagne d'Italie, que le général Bonaparte le remarque : gouverneur de Mantoue sitôt la reddition autrichienne actée, il sera après une courte disgrâce - pour s'être opposé au Consulat à vie - nommé commandant des armées d'Italie sous l'autorité du vice-roi Eugène en 1805. Mais c'est à Rome que l'attend son véritable destin : lorsque Napoléon ordonne l'envahissement des États du Pape en 1808, il nomme Miollis gouverneur de Rome et des États romains ; celui-ci s'acquitte parfaitement de sa mission, tout en gardant une grande déférence envers le pape qui reste libre en son palais du Quirinal. Cependant, celui-ci ayant excommunié Napoléon, Miollis interprète strictement un ordre de Napoléon en faisant arrêter le pape et en l'envoyant en exil en 1809. Le lycée militaire d'Aix a gardé un « quartier Miollis » et une place de la ville porte son nom. Surtout, il est inscrit sur l'Arc de Triomphe de Paris ! Le général Miollis finira sa vie à Aix en son château de Sextia-Montjustin en 1828. Sa tombe monumentale est visible au cimetière d'Aix.
Il est à noter que son propre frère, Bienvenu de Miollis (1753-1843), aixois lui aussi, au destin particulier : nommé évêque concordataire de Digne par Napoléon, il s'oppose pourtant à celui-ci au sujet du pape. Doté d'une grande piété et d'un grand humanisme, Victor Hugo s'en inspirera pour camper le personnage de l'évêque Myriel des Misérables.
Nous avons évoqué les frasques de Forbin (1777-1841) avec la belle Pauline Bonaparte ; mais sa vie ne se résume pas à cet épisode. Né à proximité d'Aix, ce peintre doué est à Paris l'élève de David, maître du néoclassicisme et futur Premier peintre de l'Empereur. Il devient en outre le successeur de Vivant Denon comme directeur du musée du Louvre en 1816. Une plaque devant son hôtel particulier du cours Mirabeau résume l'histoire de ce lieu.
Un autre Aixois célèbre, François Marius Granet (1775-1849), a aussi le privilège de rencontrer au moins deux membres de la famille Bonaparte. En effet, après la fermeture de l'école de dessin d'Aix qu'il fréquente, le jeune peintre désœuvré s'engage en 1793 dans une milice patriotique, la Société populaire d'Aix, pour aller assister l'armée républicaine qui assiège Toulon. Dans ses Mémoires, Granet raconte qu'au soir de son arrivée il est présenté à un jeune officier: « C'est là que j'ai entendu pour la première fois le nom de Bonaparte. C'était Napoléon, alors officier d'artillerie. » Granet réalisera, à sa demande, plusieurs croquis du siège de Toulon. Le second personnage de la famille Bonaparte que Granet rencontre est Caroline. En effet à l'occasion d'un voyage d'études à Rome avec son ami Ingres, son talent est remarqué et la reine le fait venir à Naples. Il y est nommé en 1812 « peintre officiel des paysages historiques ». Aix a rendu hommage à cet artiste de talent qui lui
a légué sa collection, en rebaptisant le musée d'Aix « musée Granet » en 1949.
Enfin, le destin d'Eugène de Mazenod (1782-1861) est singulier : enfant aixois exilé à la Révolution, son retour en France est rendu possible après Brumaire ; entré au séminaire de Paris en 1808, il devient résistant papiste en transmettant secrètement des lettres pour les cardinaux restés fidèles au pape. Après son ordination en 1811, il revient à Aix se consacrer aux indigents, dont les prisonniers autrichiens détenus dans les casernes où sévit le typhus. Gravement infecté par cette maladie en 1814, il manque d'en mourir. Miraculeusement rétabli, il fonde l'Ordre missionnaire des Oblats à Aix à la Restauration. Enfin, devenu évêque de Marseille en 1837, c'est lui qui ordonne la construction de Notre-Dame de la Garde, consacrée sous le Second Empire. Toutes ces actions généreuses ont conduit le pape à le canoniser en 1995. Une plaque est fixée sur sa maison natale du cours Mirabeau.
La cité a ainsi été le témoin des trois étapes de la vie de Napoléon : l'ascension (autour de Toulon, retour d'Égypte..), l'apogée (Portalis, Miollis, Pauline...) et la chute (route vers l'exil, et même au-delà avec Napoléone de Monthollon !) Fort de son patrimoine impériale (1), Aix-en-Provence mérite d'être pleinement considérée comme une ville napoléonienne.
PS :
Appellations et évolution
À l'époque de Napoléon, la ville ne s'appelle pas encore Aix-en-Provence (il faudra attendre 1931 ) ; de même, l'artère principale d'Aix, le cours Mirabeau, s'appelle seulement le cours (il faudra attendre 1880). Aix ne compte alors que 20000 habitants, tandis que Marseille en dénombre 100 000. À l'initiative du premier préfet Charles Delacroix (le père du futur peintre), Aix perd sa place de chef-lieu du département au profit de Marseille en 1800.
(1) Une société napoléonienne locale, la SNA, propose un « parcours napoléonien aixois » sous forme d'une visite commentée. Contact: societenapoleonienne.aix@gmail.com